Seqens et Bordeaux INP lancent un nouveau Labcom : SPRINT
En Janvier 2020, Seqens et Bordeaux INP lancent un nouveau Labcom sous le nom de SPRINT pour Laboratoire des semi-conducteurs Photoactifs Robustes Imprimables pour les nouvelles Technologies.
le nouveau Labcom SPRINT en interview
Bonjour Guillaume, Pierre-Antoine, pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter ?
Guillaume Wantz (GW) : Je suis Guillaume Wantz, maître de conférences depuis 2006 à l’ENSCBP, une école d’ingénieur de Bordeaux INP. Ingénieur Physico-Chimiste de formation, je me suis orienté depuis mon Doctorat, obtenu en 2004 à l’université de Bordeaux, vers les applications de la chimie dans le domaine de l’électronique.
J’officie aujourd’hui à l’IMS, Laboratoire de l’Intégration du Matériau au Système, à Bordeaux. Notre équipe de recherche travaille sur les dispositifs de l’Electronique Organique, i.e. l’usage de semi-conducteurs organiques pour fabriquer des composants variés comme par exemples les diodes électroluminescentes organiques (OLEDs), les cellules solaires photovoltaïques organiques (OPV) et les photodétecteurs organiques (OPD).
Guillaume Wantz
Pierre-Antoine Bonnardel
Pierre-Antoine Bonnardel (PAB) : Je suis Pierre-Antoine Bonnardel, chimiste également. J’ai obtenu mon Ph.D en chimie (spécialisation chimie de coordination et organométallique) en 1995 à l’Université de Manchester, et suis Chef de Projets R&D depuis 20 ans sur les projets de chimie fine et électronique chez Seqens (anciennement PCAS).
Vous êtes tous deux à l’initiative d’un Labcom ANR, dénommé SPRINT (pour Laboratoire des semi-conducteurs Photoactifs Robustes Imprimables pour les nouvelles Technologies), qui démarre en janvier 2020. Pourriez-vous nous en expliquer la genèse ?
PAB : L’histoire a démarré de l’autre côté de l’Atlantique ! Notre unité de production et notre Service R&D à Saint-Jean-sur Richelieu, au Québec, a industrialisé il y a environ 10 ans la production d’un polymère semi-conducteur pour les cellules solaires organiques OPV, le PCDTBT, développé à l’origine par Prof. Mario Leclerc à l’Université de Laval.
Nous avons repéré en 2016 un article de l’IMS (paru dans Scientific report, vol 6 p 39 -201, 2016), qui investiguait le potentiel du PCDTBT en application photodétecteurs (OPD), et avons décidé de prendre contact avec ses auteurs afin de voir s’il y avait des pistes de collaboration possibles.
GW : J’avais rejoint pour ma part à l’époque, lors d’un congé sabbatique, l’Université Queen’s d’Ontario, ce qui m’a permis de visiter « en voisin » le site industriel de Seqens, et de poser les bases d’une approche partenariale. Nous avons en 2019 démarré nos premiers travaux conjoints, sur la thématique de la pureté des composants organiques, dans le cadre d’un contrat de collaboration et d’un post-doctorat financé par SEQENS.
Ceci nous a permis d’éprouver l’efficacité de la collaboration, et de monter un dossier de Labcom ambitieux. Celui-ci a été sélectionné lors d’un appel à projets par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche Française) en 2019 qui nous a accordé un financement pour mettre en place un Laboratoire Commun, d’une durée initiale de 4.5 ans, à compter du 1er Janvier 2020.
L’objectif de cet appel à projet spécifique de l’ANR est clairement de renforcer, et idéalement pérenniser, les liens académiques / industriels pour valoriser la recherche française.
Parlons du projet en lui-même : quel en est l’enjeu scientifique ?
PAB : Les produits que l’on développe sont des semi-conducteurs organiques.
Il s’agit d’alternatives aux semi-conducteurs inorganiques à base de silicium, déjà très répandus dans les appareils électroniques et employés dans la fabrication des panneaux solaires que l’on installe sur les toits des bâtiments par exemple. Ces matériaux exigent une très haute pureté : on doit typiquement réduire les impuretés à l’échelle du ppt pour que les systèmes soient efficaces (1 ppt = 10-12, l’équivalent d’un milligramme pour 1000 tonnes !).
Les polymères organiques pour OPV et OPD, quant à eux, sont en plein développement, cependant les fournisseurs industriels sont encore peu nombreux et pour la plupart en dehors de l’hexagone. Qui plus est, un manque de fiabilité est souvent reporté : il y a une indéniable variation lot-à-lot de la qualité des produits commerciaux.
GW : Nous soupçonnons qu’avec un bon contrôle des impuretés, nous saurons gagner en fiabilité ainsi qu’en performance. Notre objectif est donc de comprendre le comportement chimique et électronique des impuretés dans les matrices polymères, afin d’identifier les polluants critiques, ainsi que leurs seuils de tolérance.
Nous nous pencherons également sur les propriétés intrinsèques de ces polymères, leur masse molaire, leur fonctionnalisation, afin d’optimiser leurs propriétés électroniques.
PAB : In fine, on cherche à développer des procédés de fabrication permettant de produire de manière économique et respectueuses de l’environnement des semiconducteurs organiques de qualité constante, et aux performances accrues en applications électroniques.
Tu nous disais précédemment, Guillaume que ces polymères organiques sont une alternative aux matériaux à base de silicium : qu’apportent-ils de neuf ?
GW : Les polymères présentent diverses fonctionnalités très intéressantes qui les différencient du silicium.
Les cellules solaires OPV peuvent être semi-transparentes, et sont donc utilisés dans la conception de toitures énergétiques qui laissent passer la lumière. Les polymères sont aussi des matériaux flexibles, formulables sous forme de matériaux enroulables. Dans le futur, on pourrait par exemple les utiliser pour fabriquer des voiles de bateaux solaires !
PAB : L’empreinte carbone des polymères est également beaucoup plus faible que celle des produits à base de silicium.
Le procédé de fabrication de ces derniers inclue notamment une étape énergivore de purification à très haute température. On estime que le bilan énergétique d’un panneau solaire à base silicium ne devient positif (moment où il délivre davantage d’énergie qu’investie lors de sa fabrication) qu’au bout de 2 à 4 ans d’utilisation. Cette durée est réduite à quelques mois avec les polymères.
Les polymères ne contiennent pas non plus de substances toxiques. A tous égards, ces produits s’inscrivent dans une démarche de développement durable.
GW : Pour les photodétecteurs, le silicium a également des limites de détection, notamment dans l’infra-rouge, que les polymères peuvent surmonter. Ces derniers permettraient ainsi d’élaborer des capteurs sans contacts, ce qui ouvre un très vaste potentiel applicatif dans des domaines très différents : médical (opérations chirurgicales « à distance »), reconnaissance biométrique, utilisations de la vie courante (plaques de cuisson réglables sans contact, par exemple) …
Les polymères sont déjà utilisés pour faire de la reconnaissance par empreinte digitale, sur les écrans de smartphone, ou lors des contrôles aux frontières. Via la détection infra-rouge, cette technologie pourrait évoluer vers la reconnaissance d’empreinte veineuse, cette fois complètement infalsifiable, par rapport à la reconnaissance digitale. La reconnaissance faciale est également plus efficace dans l’infra-rouge.
On parle d’applications high-tech et futuristes. Comment allez-vous faire le lien entre les polymères développés et leurs applications ?
GW : Nous assurons un lien très étroit avec les besoins du marché, et sommes partenaires avec deux des leaders mondiaux en OPV et OPD, que nous avons la chance d’avoir dans l’hexagone : ARMOR et ISORG.
La société nantaise ARMOR, leader du marché des cellules solaires organiques, a détaché en permanence deux scientifiques dans mon équipe à Bordeaux, ce qui nous permet d’adresser directement les thématiques du marché.
ISORG, basée à Grenoble, a également une équipe à Bordeaux, et développe des solutions très performantes en photodétection pour les smartphones et les outils de reconnaissance biométrique.
PAB : Nous sélectionnerons avec ARMOR et ISORG les polymères-cibles du projet, en nous focalisant sur les semi-conducteurs organiques pour les panneaux photovoltaïques et les photodétecteurs infra-rouge.
Ces deux utilisateurs référents du marché, ont rejoint d’autres experts académiques, Olivier Dautel (CNRS Montpellier) et Nicolas Leclerc (CNRS Strasbourg), au Board du Labcom SPRINT. Ils sont ainsi directement impliqués dans les développements, ce qui nous guidera pour développer des procédés industriellement compétitifs. Les produits commerciaux actuels souffrent en effet d’un prix relativement élevé. Aussi, une attention particulière sera portée à l’optimisation du procédé lors de la montée en échelle, afin de produire ces matériaux à coût raisonnable.
Quelle sera la contribution de vos laboratoires respectifs dans ce projet ?
PAB : La synthèse chimique des polymères sera mise au point par l’équipe du Seqens Lab de Porcheville, notre centre R&D. Nous effectuerons des tests de screening à l’échelle laboratoire, en procédant à des dopages artificiels pour étudier l’influence des différentes impuretés.
Les polymères retenus seront ensuite produits à échelle pilote, pour les tests de fonctionnalités à l’IMS.
GW : De son côté, l’IMS effectuera la caractérisation des propriétés électroniques, électro-chimiques, et morphologiques des produits synthétisés par Seqens. Nous déploierons pour cela une gamme d’analyses incluant la mesure du potentiel d’oxydation, de réduction, des analyses spectroscopiques et des techniques de physique poussées pour l’identification des transports de charges à basse température.…
Nous réaliserons également des « puces » à partir des polymères reçus : il s’agit d’échantillons de 15 mm par 15 mm, composés d’un cœur polymère actif, ainsi que de couches interfaciales de sélection des charges. Nous testons ces puces directement pour leurs performances et leur stabilité en cellules solaires, et avons un savoir-faire spécifique pour tester les applications OPD.
Des compétences multi-disciplinaires seront sollicitées pour le projet. En routine, quatre chercheurs de Bordeaux (Sylvain Chambon, Lionel Hirsch, Laurence Vignau et moi-même), aux profils complémentaires (physicien, physico-chimiste, électrochimiste), travailleront dans le cadre de SPRINT.
Votre ambition, sur ce projet ?
GW : Ce projet réunit au sein d’un même écosystème tous les acteurs, académiques et industriels, pour monter une filière française de production d’OPV et OPD fiables, économiques, et de haute performance.
Nous avons tous les atouts pour prendre une position-marché de premier plan sur ces technologies exigeantes en sécurisant l’ensemble de la chaîne, depuis la production des polymères jusqu’aux produits finis.
Merci beaucoup à vous deux pour ces explications. Nous reviendrons prochainement vers vous pour faire le point sur les avancées de SPRINT.